Le chant de nos filles by Spera Deb

Le chant de nos filles by Spera Deb

Auteur:Spera Deb [Spera Deb]
La langue: fra
Format: epub
Tags: DET
Éditeur: Éditions Charleston
Publié: 2020-03-06T00:00:00+00:00


III

21

Retta

Cher Odell,

Voilà deux semaines que c’est le silence le plus complet et qu’on a pas de nouvelles de toi ou de Mr Coles. En admettant qu’y faille cinq ou p’t’être six jours pour arriver à Florence et trois jours de plus pour vendre le tabac, alors ça voudrait dire qu’au moment où j’écris cette lettre, tu es sur la route du retour. J’imagine que tu vas remonter le chemin à la fin septembre. C’est mes calculs et c’est ma prière.

Ta présence, ton odeur ont disparu du jardin, de la cuisine, de notre lit. À ta place, y a un silence qui fait un boucan de tous les diables. C’est bizarre, pas vrai ? Qui aurait cru que le silence pouvait être bruyant ? Pas moi, pas avant ton départ. C’est pas juste ta voix qui a disparu, Odell, c’est le chœur tout entier des voix qui n’est plus là. Depuis que t’es parti, c’est comme si tout le monde m’avait laissée en même temps. Peu importe combien de temps je passe assise à côté de sa tombe, j’oublie le son de la voix d’Esther quand elle appelait mon nom, le rire aigu de Mrs Walker quand quelque chose l’amusait, M’man quand elle pestait parce que je m’inquiétais trop. Pareil pour les signes qui se manifestaient à moi avant : disparus. Les oiseaux moqueurs chantent toute la journée par-dessus le chant des autres oiseaux, jusqu’au tomber du jour, et ils recommencent avant le lever du soleil. Le vent souffle en rafales qui ont ni queue ni tête. Y a juste le parfum de l’automne qui semble apporter une promesse dans son sillage, mais je sais pas de quoi. L’odeur des pins est tellement forte que c’est comme si ma mémoire avait sauté par-dessus l’automne pour atterrir sur Noël. Mais j’ai beau essayé, impossible de voir le prochain Noël. Alors à la place, dans ma tête, j’imagine ton visage pendant que tu lis mes lettres. À chaque mot que j’écris, ton image devient plus précise, alors j’écris et j’écris encore pour pouvoir m’accrocher à cette image de toi, et j’imagine aussi ta voix qui me répond. Reviens vite, O.

Avec tout mon amour,

Oretta.

* * *

L’endroit où Odell dort d’habitude est froid. Il fait une chaleur pas possible entre les draps alors je me mets de son côté du lit pour me rafraîchir. Un vent fort a commencé à souffler. Ça fait longtemps que minuit est passé et je dors toujours pas. J’suis allongée dans notre lit, à écouter le bruissement des arbres. J’oublie toujours que quand une saison laisse la place à une autre, y a toujours une bagarre. Là, le vent s’est levé pour disperser ce qu’y reste de l’été.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Le bruit est régulier, et de plus en plus fort. Des sabots de chevaux, deux ou plus, qui se rapprochent de Shaker Rag. J’entends les chevaux qui tournent dans le chemin et arrivent dans notre jardin. Je m’assois dans le lit, mais j’ai peur de me lever,



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